La suppression de la protéine TrkB dans les neurones exprimant le récepteur D1 à la dopamine engendre, chez certains individus, des comportements stéréotypés associés à des altérations génétiques spécifiques.
Michel Engeln et collaborateurs, Molecular Psychiatry, Avril 2020.
Le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) se caractérise, entre autres, par des troubles moteurs et notamment par des mouvements involontaires, des tics et des mouvements répétitifs. Afin de proposer des traitements efficaces, il est important de comprendre en détail les mécanismes à l’origine de ces symptômes. Mes travaux, menés à l’Université du Maryland à Baltimore (USA) et partiellement financés par l’AFSGT, visaient à comprendre quels sont les changements profonds qui affectent les neurones associés aux mouvements stéréotypés.
Au sein du cerveau, un ensemble de régions cérébrales appelé « ganglions de la base » est responsable des mouvements. Cet ensemble forme un réseau neuronal complexe qui est impliqué dans de nombreux mécanismes physiologiques liés au contrôle des mouvements. Une région cérébrale en particulier, appelée le striatum, est connue pour son rôle clé dans l’initiation des mouvements. Les neurones du striatum sont activés par une molécule appelée « dopamine ». La dopamine circulant dans le striatum peut être captée par des récepteurs dits dopaminergiques de type D1 ou D2 qui sont présents sur deux populations distinctes de neurones ainsi appelés neurones D1 et neurones D2. Lorsque la dopamine se fixe sur ces récepteurs, un enchainement de messages neuronaux aboutit notamment à la réalisation de mouvements. Lorsque la dopamine se fixe sur les récepteurs de la catégorie D1 on observe une facilitation des mouvements, alors qu’à l’inverse l’activation des neurones qui possèdent le récepteur de la catégorie D2 entraine une réduction du mouvement. Au quotidien, on retrouve un équilibre dans l’activité des ces deux types de neurones qui donne lieu à une motricité volontaire, fluide et précise.
Aussi, de nombreux travaux suggèrent qu’un déséquilibre dans l’activation de ces deux circuits neuronaux aux fonctions opposées est à l’origine des symptômes moteurs de plusieurs maladies caractérisées par des mouvements répétitifs comme les troubles obsessionnels compulsifs, les troubles autistiques ou encore le SGT. En effet, l’activation excessive de la population de neurones qui facilite la production motrice (neurones D1) engendrerait un « excès » de mouvements, caractéristiques des tics ou des mouvements stéréotypés.
Cependant, une des difficultés dans l’étude de ces mécanismes réside dans le fait que ces deux populations neuronales sont entremêlées au sein de cette structure cérébrale qu’est le striatum. Il est donc difficile d’étudier précisément les neurones D1 pour en connaître les spécificités.
Dans cette étude, nous avons utilisé un ensemble de techniques biologiques de pointe qui nous a permis d’évaluer différents paramètres, précisément dans cette population neuronale qui possède le récepteur D1 à la dopamine, pour mieux comprendre les altérations associées aux mouvements involontaires survenant dans le SGT.
Pour étudier les mécanismes à l’origine de ces dysfonctionnements neuronaux, nous avons utilisé un modèle animal de souris dite « génétiquement modifiée ». Chez ce model nous avons supprimé, uniquement dans les neurones qui possèdent le récepteur D1 à la dopamine, l’expression d’un gène (Ntrk2 qui code pour la protéine TrkB), qui a été impliqué dans certaines formes familiales de SGT et de troubles obsessionnels compulsifs. Chez la majorité des souris, cette mutation génétique n’a pas d’effet notable sur le comportement moteur des animaux. Cependant, chez 14,4% de ces souris, on observe de manière spontanée un comportement moteur répétitif de rotation. Bien que ce comportement ne soit pas directement comparable aux symptômes du SGT, il nous permet d’étudier les potentielles modifications cérébrales associées à un trouble moteur involontaire et/ou incontrôlé. Le but de notre étude a donc été de comparer quelles étaient les molécules qui étaient altérées chez les souris présentant ce comportement répétitif par rapport aux souris génétiquement modifiées qui ne présentent pas ce trouble moteur.
Nous nous sommes d’abord assurés que notre modèle animal possède des similitudes avec le SGT en vérifiant que deux traitements médicamenteux utilisés, ou en cours de test, chez les patients réduisaient les comportements répétitifs chez ces souris. Pour cela, nous avons utilisé des souris juvéniles ainsi que des souris au stade de jeunes adultes qui correspondent aux stades auxquels débutent souvent les comportements stéréotypés décrits chez les patients atteints du SGT. Nous avons mesuré que l’halopéridol (Haldol) ainsi que l’ecopipam réduisent tous deux les rotations répétitives de façon significative. Ensuite, afin de nous assurer que les neurones qui possèdent le récepteur D1 à la dopamine étaient spécifiquement impliqués dans ces comportements involontaires, nous avons utilisé une technique appelée chemogénétique, qui nous a permis de bloquer sélectivement l’activité de ces neurones D1 tout en gardant intacte la fonctionnalité des neurones D2. Réduire spécifiquement l’activité de ces neurones a permis de diminuer les comportements répétitifs, confirmant ainsi le rôle clé des neurones D1 dans ces manifestations motrices. De plus, ces différents traitements n’ont pas montré d’effets délétères chez les animaux ne présentant pas de comportements répétitifs spontanés.
Après avoir confirmé le rôle des neurones D1 du striatum dans les comportements stéréotypés nous avons voulu mesurer, dans ces neurones, quelles étaient les différences d’expression de gènes entre les souris présentant ou non un comportement répétitif. Afin d’obtenir des résultats quantitatifs précis, nous avons utilisé une méthode appelée Ribotag qui permet d’isoler le matériel génétique d’un type neuronal précis pour ensuite pouvoir le quantifier. Ainsi, après avoir sélectivement isolé les neurones D1 des autres neurones du striatum chez des souris juvéniles, nous avons utilisé une technique de séquençage de gènes qui a permis de comparer l’expression de 14 764 gènes entre les populations de souris présentant ou non des mouvements répétitifs. A l’issue de cela nous avons isolé 816 gènes sur lesquels une analyse plus fine a mis en évidence des niveaux d’expression génique très différents entre ces deux groupes de souris. Nous avons alors cherché à voir quels types de gènes étaient concernés et découvert qu’il s’agissait majoritairement de gènes impliqués dans différents processus biologiques tels que la croissance des neurones, leur capacité à former des réseaux et à communiquer avec d’autres neurones. Cette découverte importante pourrait expliquer les mécanismes à l’origine du déséquilibre de la communication neuronale à l’origine des mouvements involontaires rencontrés dans le SGT.
Pour confirmer que les altérations que nous avons mesurées au niveau moléculaire avaient effectivement un impact sur les neurones, nous avons étudié la forme, ou morphologie, des neurones D1 du striatum. Une technique de coloration spécifique de ces neurones, nous a permis de mettre en évidence que les neurones D1, chez les animaux présentant des comportements répétitifs, étaient partiellement atrophiés. Ceci participerait à une mauvaise communication entre les neurones et ainsi engendrer des comportements involontaires comme les tics ou les mouvements stéréotypés.
En résumé, dans ces travaux j’ai étudié des animaux présentant, de manière spontanée, des comportements répétitifs assimilables aux troubles comportementaux observes chez les patients atteints du SGT. Nous nous sommes intéressé spécifiquement à une sous-population neuronale impliquée dans la production de mouvements et nous avons découvert que ces neurones présentaient une diminution de leur taille et de leur capacité à communiquer avec un réseau neuronal complexe et crucial pour la réalisation de mouvements volontaire.
Plusieurs éléments ont désormais besoin d’être précisés. En effet, les animaux de cette étude ont été testés à partir du stade juvénile lorsqu’ils commencent à marcher. On ne sait cependant pas si ces altérations sont présentes avant l’apparition de la marche ou si elles sont une conséquence des comportements répétitifs. Il sera aussi intéressant de pouvoir mesurer précisément comment l’activité de ces neurones est changée chez les souris présentant un comportement répétitif. Avec ces travaux nous avons mis en évidence une altération des niveaux d’expression d’un certain nombre de gènes. Il sera désormais important de tester des molécules pharmacologiques permettant de restaurer le fonctionnement de ces gènes pour tester de façon ciblée leur impact dans la réduction des comportements répétitifs afin d’orienter de nouvelles pistes thérapeutiques ciblées.
Référence de l’article scientifique :
Engeln M, Song Y, Chandra R, La A, Fox ME, Evans B, Turner MD, Thomas S, Francis TC, Hertzano R, Lobo MK (2020) Individual Differences in Stereotypy and Neuron Subtype Translatome With TrkB Deletion. Molecular Psychiatry. doi: 10.1038/s41380-020-0746-0.